Cette année encore, plusieurs dizaines d’enseignants francophones ont fait le choix de laisser leur quotidien derrière eux et de s’installer en Louisiane pour enseigner en français les disciplines à l’école, via un programme sponsorisé par le CODOFIL (Conseil pour le développement du français en Louisiane). Cette immersion aux États-Unis leur offre l’occasion d’approfondir leur pratique professionnelle tout en découvrant un système éducatif et un contexte culturel différents.
« L’accueil des Louisianais a été formidable, que ce soit du point de vue professionnel ou personnel », se réjouit Gwenaëlle Jaubert, qui enseigne le français aux élèves de 5ème à North Lewis Elementary School, New Iberia. « L’histoire de la Louisiane se mêlant à celle de la France, c’est un honneur en tant que professeur de transmettre ces valeurs communes de francophonie à la jeune génération. » Matt Menez, un autre professeur à North Lewis, voulait découvrir de nouveaux horizons. « Je suis très attaché à ma région natale (la Bretagne) mais je voulais découvrir de nouveaux horizons. J’ai appris l’existence d’un programme de promotion du français en Louisiane et j’ai décidé de me lancer dans l’aventure. »
Gwenaëlle et Matt font partie de la dernière promotion du CODOFIL, arrivée cet été. Bien que tous ces enseignants expatriés partagent une langue et une histoire commune avec la Louisiane, il leur faut s’adapter néanmoins à une nouvelle culture, comprendre un système d’enseignement nouveau et adapter leurs méthodes et matériel au programme éducatif de l’État.
« J’avoue avoir été déconcerté en arrivant (et je le suis encore aujourd’hui!), mais malgré tout c’est une expérience très enrichissante, reconnaît Matt. Qu’il soit personnel ou professionnel, tout mon entourage a été bienveillant (…) et je suis convaincu que l’échange entre les cultures est positif pour tout le monde. » Gwenaëlle partage ce sentiment de ‘choc des cultures’, « à la fois intense et tout en nuances. » Sur le plan professionnel, explique-t-elle, elle « regrette le manque de temps et d’opportunités pour aborder des sujets en dehors du curriculum. Le système étant peut-être trop rigide et les trente minutes accordées quotidiennement à la langue ainsi qu’à la culture française sont bien trop courts pour débuter des projets pédagogiques plus profonds. »
Intégrer un nouveau système éducatif avec un bagage professionnel à ajuster, tout en respectant les structures en place et ses limitations, est un défi quotidien pour les enseignants venus transmettre leur savoir. Un grand nombre d’enseignants expatirés, du primaire au niveau supérieur, témoignent de leur difficultés, et il apparaît clairement que le contexte n’est favorable à la transmission du français.
Souvent, les enfants ne parlent français qu’à l’école; pour certains parents américains, le français est un signe de prestige qu’ils désirent pour leurs enfants, mais ne se soucient pas nécessairement de comment est enseignée la matière et si les élèves réussissent vraiment à pratiquer la langue. De plus, certains enfants en immersion gérent déjà des difficultés scolaires dans leur langue maternelle, ce qui peut rendre le français moins prioritaire et son apprentissage, encore plus compliqué.
Le coeur du problème, comme l’explique Olivier Châtelain de Pronville, professeur spécialisé en études francophones qui a rejoint cette année le programme d’immersion française à North Lewis, c’est un système d’immersion bancal qui révèle une disparité entre les demandes mises en place et la réalité, et rend de plus en plus difficile le maintient d’une merveilleuse initiative qui, depuis les années 60 avec la création du Codofil, a permis à des milliers de jeunes de garder une part de leurs racines françaises. Ce dernier a vu l’immersion perdre de la vitesse ces dix dernières années.
Deux raisons à cela selon lui: premièrement, « le curriculum offert au niveau de l’État de la Louisiane est un curriculum très lourd que l’on demande aux enseignants venant de France ou de pays francophones d’enseigner dans les écoles. C’est la traduction d’un curriculum anglophone américain qui n’est pas très bon, qui est surchargé et qui, en fait, n’est pas du tout adapté à une pédagogie en fonction des niveaux. Ce qui fait que l’immersion d’aujourd’hui, c’est une immersion où l’on demande aux professeurs d’être pratiquement des magiciens, c’est-à-dire de permettre, grâce à une utilisation constante de la langue française dans la classe, de créer cet apprentissage de la langue.
Les programmes suivis au primaire et au secondaire restent ceux du département de l’éducation louisianaise et les professeurs expatriés doivent composer avec un programme qui ne leur est pas familier et des contraintes, comme par exemple les tests standardisés que doivent passer les élèves dès le 3ème grade (l’équivalent du CE2 dans le système de éducatif français). Donc, en plus d’un programme dont le fonctionnement n’est pas adapté à la réalité, les professeurs venus enseigner en français sont débordés, frustrés, et dépensent beaucoup d’énergie pour préparer leurs élèves aux tests, et ces derniers n’ont plus le temps d’assimiler la langue française, qui se retrouve reléguée en arrière plan.
Malgré les obstacles, de nombreux enfants, parents et enseignants restent investis dans l’apprentissage cette langue. Le français est encore parlé, lu et écrit avec passion, laissant espérer que les générations futures conserveront cet héritage. Dans les écoles de la paroisse d’Ibérie, de jeunes enfants expriment leur fierté de parler la langue de leurs ancêtres. Des professeurs dévoués implémentent des outils pédagogiques modernes, notamment l’usage de l’intelligence artificielle pour créer des supports éducatifs engageants. Audrey, élève de 5ème à North Lewis Elementary School est très contente de faire partie de ce programme d’immersion. « J’aime le travail qu’on fait tous les jours avec mon prof sur la langue française et la culture de ce pays. Découvrir le programme d’histoire en français est un peu plus compliqué car il faut souvent que je traduise. Mais je suis très heureuse d’être en immersion et je trouve que c’est une bonne expérience. »
Entre festivals, rassemblements culturels, échanges et créations intellectuelles francophones, l’immersion française se dresse fièrement en Louisiane. Ses défenseurs travaillent chaque jour pour faire du français une seconde langue vivante. Lors de réunions parents-professeurs en école d’immersion française, la satisfaction des grands est palpable de voir les plus jeunes se préparer à devenir des citoyens bilingues. Dans les bars et restaurants, à l’écoute des anciens, on ressent la force de leur attachement à cette langue. L’immersion française reste solide, même si elle est parfois fragilisée par des ressources limitées; elle est unificatrice, même si le français n’est pas toujours une passion pour tous. En continuant à œuvrer ensemble – francophones et anglophones, membres ou non du CODOFIL – le français a de beaux jours devant lui en Louisiane.
Il ne faut pas se satisfaire du statu quo car il y a beaucoup à faire, comme le reconnait Olivier Châtelain de Pronville, si nous voulons que les enseignants continuent de choisir l’aventure louisianaise et que les programmes d’immersion comme celui mis en place par le CODOFIL survivent et prospèrent. Il espère « un peu plus de fermeté de la part de ceux qui en sont chargés vis-à-vis de l’État louisianais, afin d’obtenir une compréhension des nécessités que ce programme demande. »